JEAN MICHEL ATTAL un homme libre

Publié le mercredi 15 décembre 2021

Notaire spécialisé dans l’immobilier d’entreprise, Jean-Michel Attal est aussi un amateur d’art contemporain engagé et apprécié qui a réuni, pendant plus de quarante ans, une collection rigoureuse mais non rigoriste. Au-delà d’un penchant naturel pour l’abstraction, ce visionnaire, sourd aux sirènes du marché, a été attentif, avant l’heure, à une scène européenne, voire française, aujourd’hui reconnue. 

Par Pauline Simons 76 Faubourg Sotheby's 

Quel a été l’élément déclencheur qui vous a rapproché de l’art contemporain ? 

Une fascination pour les arts visuels. Ma famille, qui est originaire d’Algérie, était très friande de musique et de littérature. Il y a toujours eu beaucoup de livres à la maison mais étrangement aucun tableau. Quand nous sommes rentrés en France, en 1962, au moment de l’indépendance, -j’avais alors sept ans- nous avons du recommencer à vivre, à voyager, à visiter les musées, un passe-temps que j’adorais. Etant plus réformiste que révolutionnaire, m’intéresser à l’art de mon temps fut aussi une manière de m’émanciper d’une éducation bourgeoise, de m’évader et de me construire. D’autant que c’est un univers dans le quel je me suis toujours senti à l’aise. Au contraire, bien que j’avais certaines habitudes avec la musique, la connaître et l’apprécier m’ont demandé beaucoup d’efforts. Passer de Haendel à Mozart, puis de Mozart à Mahler et Bartok puis à Strauss pour, enfin, arriver à la musique contemporaine, a été un cheminement long et sinueux.

Michel François, Atelier Pissenlits, 2005. Bois Plexiglas, métal, néon , nylon, pissenlits 

Vous avez également commencé à collectionner très jeune…

J’ai acquis ma première oeuvre à l’âge de vingt et un ans, c’est à dire il y a quarante-cinq ans. C’était un tableau du peintre nuagiste Frédéric Benrath qui était présenté à la galerie Daniel Gervis. Les découvertes plus significatives, je les dois à mon ami de jeunesse Guillaume Durand dont les parents tenaient alors la Galerie de poche, Rue Mazarine, un tout petit espace parisien qui n’accueillait que des jeunes artistes. Lucien Durand était un découvreur, il avait un nez inouï pour débusquer les talents naissants qui souvent lui échappaient dès qu’ils grandissaient. L’argent n’était pas son ambition. Comment ne pas se souvenir d’un magnifique tressage de François Rouan ou d’une toile ultra-minimaliste de James Bishop… Je lui dois ma rencontre avec Bernard Frize et Ange Leccia auquel je suis toujours très lié. En fréquentant cette pépinière, j’ai beaucoup appris tout en étant conforté dans cette estime naturelle que j’avais déjà pour la peinture abstraite du début du XXème siècle…Mondrian, Malevitch, pour les artistes américains de l’après guerre… Rothko, Barnett Newman…et aussi pour le minimalisme d’un Sol LeWitt. 

D’où vous vient ce goût inné pour l’art abstrait, chose assez rare quand on observe les débuts des collectionneurs d’art contemporain ?

Sensible au vide et à la marge par nature, je préfère les expressions simples, qui ouvrent le dialogue, aux solutions uniques. C’est en cela que l’abstraction me séduit car elle offre des espaces de liberté et des interstices afin que celui qui regarde puisse se forger sa propre idée.

Jennifer Allora & Guillermo Calzadilla, Solar Catastrophe, 2011. Morceaux de panneaux solaires cassés sur toile

Au fil des années, vos goûts et vos intérêts ont-ils évolué ? Êtes vous toujours aussi radicalement fidèle à l’abstraction ? 

Je ne suis pas le collectionneur d’une école stricto sensu ou d’un seul medium. Grand admirateur de la pratique de Soulages, inconditionnel de Bernard Frize, d’Helmut Federle, d’Imi Knoebel ou de Katharina Grosse, j’ai aussi de sérieux penchants pour des oeuvres plus figuratives. Exposer les oeuvres de Latifa Echakhch et de Miriam Cahn, dans les futurs locaux de Sotheby’s, à l’emplacement de la galerie historique Bernheim-Jeune, n’a pas été un hasard. Ce sont deux artistes de générations différentes que je collectionne avec la même constance. Leurs oeuvres se laissent lire entre les lignes. Le travail de Latifa Echakhch qui met le doigt sur la fragilité du modernisme, ne donne certes pas dans le minimaliste au sens de celui d’un Barnett Newman mais ne force jamais la lecture. Quant à Miriam Cahn, c’est une immense artiste ayant un engagement sans réserve pour les principes humains. Encore méconnue du grand public, elle a été heureusement remise en lumière par la galerie Jocelyn Wolff. Ce triptyque que vous voyez sur votre gauche a fait partie de l’exposition. 

Dans votre étude, l’art est partout…

Et pour cause…Je suis le parfait exemple du collectionneur qui garde pratiquement tout. Soit plus de quatre cents pièces dont beaucoup dorment, par nécessité, dans les réserves. Je n’ai jamais éprouvé ce sentiment de lassitude qui aurait pu me pousser à revendre massivement pour réorganiser des ensembles ou pour ne cibler que des pièces historiques. Mais, comme vous pouvez l’imaginer, le moindre mètre linéaire est précieux. Depuis un peu plus d’une vingtaine d’années, les oeuvres d’art ont passé la porte de l’office. J’avais le profond désir de partager ce que j’aimais avec mes associés, collaborateurs et clients mais il me fallait plus qu’une adhésion de circonstance. Ne voulant pas choquer, j’avais d’abord accroché des oeuvres dans mon bureau et les parties communes. Des dessins d’Henri Michaux, des photos d’Irving Penn… A dose homéopathique. Aujourd’hui l’art est dans chaque pièce et je n’ai plus d’interdits. Je travaille sous l’ arbre en résine d’Hugo Rondinone entouré d’une photo de Dieter Appelt, d’une toile de Gérard Traquandi, d’une peinture abstraite du jeune artiste américain Richard Aldrich. Il y a également Elaine Sturtevant qui, en révolutionnant sans ciller la notion d’originalité, a eu une reconnaissance tardive ou encore Imi Knoebel longtemps négligé à tort par le marché.

Partager n’est pas un vain mot : j’honore toujours les prêts qui me sont demandés ; à deux ou trois reprises, j’ai organisé des expositions avec des pièces significatives de ma collection et, quand je le peux, j’accompagne différents projets comme, par exemple, le retour du train fantôme d’Elaine Sturtevant au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris.

Bernard Frize, Gripou, 2008. Acrylique sur toile

Comment gérez vous les caprices du marché..  

J’ai toujours navigué hors des sentiers battus et n’ai jamais fait d’acquisitions, ni au coup de coeur, ni à l’oreille : je suis un cérébral totalement sourd aux conseils des art advisors  Le seul critère d’achat est que l’oeuvre me plaise. Mes préférences de collectionneur vont plutôt aux artistes de la scène française voire européenne… Guillaume Leblon, Saâdane Afif, Mircea Cantor qui vit en partie dans l’hexagone, Loris Gréaud dont j’aime la radicalité : lors de la biennale de Venise 2011, j’ai rédigé le contrat pour le Pavillon Gepetto qui représentait la sculpture d’un cachalot échoué. A signer si l’on souhaitait séjourner vingt-quatre heures dans son ventre. J’ai découvert la plupart d’entre eux quand ils n’étaient pas très connus et je n’ai pas attendu que Katharina Grosse soit chez Gagosian pour m’y intéresser. Parmi les rencontres plus récentes, le duo David Brognon-Stéphanie Rollin et la manière originale dont ils explorent le temps et ses fissures m’ont totalement séduit. Ayant été l’un de leur premier collectionneur, j’avais prêté une « table de shoot » pour leur rétrospective au MAV VAL en 2020 et participé à la rédaction du catalogue. 

Vous aimez donc entrer en contact avec les artistes ?

Ce n’est pas une règle. Je n’ai pas acheté d’oeuvres de Christian Boltanski alors qu’on se parle souvent et au contraire, j’ai un grand nombre de pièces de Imi Knoebel que j’ai du croiser une fois lors d’un vernissage. Autant je trouve assez beau de se débrouiller avec la toile qu’un artiste vous laisse, autant, quand le travail est conceptuel, quand l’artiste part d’une idée pure -ce qui est très courant aujourd’hui-, la rencontre est essentielle.

On a l’heureux sentiment que l’art a totalement façonné votre manière de vivre. 

Je dis souvent que les oeuvres parlent plus à mon cerveau qu’à mon coeur, et j’hésite à parler de passion. Mais il est vrai que la collection et ma fascination pour l’art ont été les piliers de ma vie. Le fait que la manière de regarder une œuvre soit aussi importante que l’œuvre regardée est une chose que j’applique à d’autres domaines. Et cela me remet toujours en adéquation avec moi-même.