OLIVIER MESLAY Art et nature, l'équilibre nécessaire

Publié le vendredi 19 juin 2020

Conservateur et chercheur, Olivier Meslay a rejoint le Clark Art Institute à Williamstown dans le Massachusetts voici déjà quatre ans. Eminent spécialiste de la peinture anglaise, américaine et espagnole, il nous raconte, sur fond de crise sanitaire, les collections, les initiatives, les projets d’une institution ayant de nombreuses cordes à son arc. Au programme, cet été, une exposition d’art contemporain en milieu naturel. Une première au Clark. Interview.

Par Pauline Simons pour 76 Faubourg (Sotheby's)

Olivier Meslay, directeur du Clark Institute à Williamstown

Avant de prendre la tête du Clark Art Institute en 2016, vous occupiez un poste de direction au Dallas Museum of Art.  D’où vient ce lien particulier avec l’art anglo-saxon et les Etats-Unis ? 

Au-delà d’un goût personnel et d’une expérience en galerie, ma nomination au Louvre en tant que conservateur chargé de la peinture anglaise, américaine et espagnole, fut déterminante. En 1993, l’art anglo-saxon était encore, dans un contexte français, un territoire méconnu et donc définitivement attirant. A l’époque, on l’étudiait peu. J’ai donc eu le plaisir et le temps d’en découvrir les arcanes mais aussi de songer à une expérience sur le terrain. Or, en 2000, le conservateur en chef du Clark qui était un ami, venait d’inaugurer le Research and Academic Program, judicieuse initiative pour soutenir les conservateurs, critiques et historiens d’art dans leurs recherches. A l’époque, Henri-Pierre Danloux et Constable étaient mes deux sujets d’étude, tandis que mon épouse, conservateur au Musée d’Orsay, préparait l’exposition Charles Cordier. Cette invitation est donc tombée à point nommé : nous avons eu la chance de séjourner au Clark pendant presque un an et de travailler dans des conditions exceptionnelles. Mais, nous n’imaginions pas nous y installer de manière, si je puis dire, plus définitive.

Le Clark Art Institute a vu le jour en 1955 grâce à Sterling et Francine Clark en quête d’un écrin pour leur collection. Depuis sa création, le Clark a pris beaucoup d’autres initiatives…  

Un institut tel le Clark se doit d’être dans une dynamique constante. A commencer par l’enrichissement de son patrimoine grâce aux achats et aux dons : nous avons reçu, récemment, la collection significative de Sir Edwin Manton. Composée de trois cent trois oeuvres d’art britannique, essentiellement des paysages, elle abrite des pépites comme ces ensembles de Turner ou de Constable qui nous ont permis de remodeler les nôtres. 

En 1972, en collaboration avec le Williams College, l’institution de la ville, le Clark a instauré un master en histoire de l’art qui est aujourd’hui « la » carte de visite pour qui veut embrasser une carrière muséale. Le directeur du MOMA, celui de l’Art Institute of Chicago, ou de la National Gallery du Canada…. Tous sont passés par Williamstown. Afin d’ étayer ce projet d’envergure et d’offrir aux étudiants des conditions de travail optimales, le Clark a conçu un nouveau bâtiment ainsi qu’une bibliothèque, riche de 350 000 ouvrages en accès libre.

Le troisième point, évoqué précédemment, est la mise en place, en 2000, du programme de recherche destinés aux historiens d’art (RAP). Depuis mon arrivée, nous avons mis en oeuvre des séjours d’étude plus courts et moins formels destinés aux chercheurs dans l’impossibilité de prendre une année sabbatique. 

Et enfin, la quatrième composante du Clark est son environnement. La nature y est extraordinairement belle et peu domestiquée. Nous sommes dépositaires d’une centaine d’hectares dans les collines où le public peut se promener librement vingt heures sur vingt quatre. Et il ne s’en prive pas. Surtout l’été. La petite ville de Williamstown qui compte un peu moins de cinq mille âmes hors saison, un village pour les Etats Unis, s’anime alors comme une ruche grâce à une programmation culturelle impressionnante dans un périmètre de cinquante kilomètres : entre les festivals - le Williamstown Theater, le Tinglewood, le Jacob’s Pillow- et les musées aux différents profils -le Williams College museum of Art, seconde institution de la ville avec le Clark, le MassMoCA, dédié à l’art contemporain, le Norman Rockwell ou encore le Bennington-, la région n’est plus une belle endormie.

Le Clark Institute et l'architecture de Tadao Ando
Le Clark Institute et l'architecture de Tadao Ando

Depuis votre arrivée, quelles ont été vos priorités ? 

Après avoir optimisé l’extension architecturale de Tadao Ando grâce à des nouveaux programmes et des expositions, ma priorité a été de valoriser la propriété, de la rendre encore plus attractive et propice à la visite. Pour la première fois cet été, nous avons programmé une exposition d’art contemporain en milieu naturel titrée Ground/work et passé commande à six artistes internationaux pour des installations en corrélation avec une nature environnante encore très vierge : bien que les espaces extérieurs soient tout à fait sécurisés, ils ont été peu aménagés. Il n’est d’ailleurs pas rare d’y apercevoir des chevreuils, des coyotes ou même des ours. Alors que les salles du Clark risquent d’être fermées encore quelques mois, l’habitat naturel, ressource pérenne, prend tout son sens.

Concernant la collection, quelle est votre politique d’achat ? Quels sont vos derniers choix  ?  

Nous n’avons pas une politique d’achat frénétique mais constante, à raison d’une acquisition par an. D’autant que la portée de la collection laissée par les Clark -elle abrite, entre autres, l’un des plus beaux Piero della Francesca des Etats Unis- n’ autorise que des oeuvres de grande qualité. Ce qui n’est pas synonyme de grandes signatures. En 2019, nous avons acquis une toile de Guillaume Guillon Lethière, peintre français de la fin du XVIIIème siècle, oublié pendant plus de deux siècles. Il s’agit d’un tableau de 1788 représentant Brutus condamnant ses fils à mort enrichi du dessin préparatoire et d’une gravure. Depuis, nous avons réuni une centaine de feuilles issues d’un album réalisé pour Marie d’Hervilly, sa fille adoptive. Au décès du peintre, en 1832, elle hérita de l’entier contenu de son atelier. Désormais, après le Louvre, le Clark est la référence pour l’oeuvre de Lethière !

Cela pourrait donner lieu à une exposition ? 

Tout à fait. Avec Esther Bell, conservateur en chef, nous avons programmé pour 2024, un accrochage sur Lethière et le cercle caraïbe. Le travail récent d’une élève et d’un appariteur de l’école du Louvre a remis en lumière le rôle du peintre dans le monde néo-classique. Et aujourd’hui, on redécouvre, autour de Lethière, né en Guadeloupe d’un père fonctionnaire et d’une mère esclave, l’importance de la communauté caraïbe en France au moment de l’indépendance d’Haïti, qu’il s’agisse de personnalités comme Joséphine de Beauharnais ou Alexandre Dumas avec lequel l’artiste devint très ami ou des nombreux élèves qui fréquentaient son atelier parisien, l’un des plus fameux avec celui de David.

Souhaitons que d’ici là, la situation soit plus sereine. La crise sanitaire qui n’épargne pas aucune institution culturelle vous contraint-t-elle à annuler les expositions de printemps ?

A l’heure où je vous parle, nous attendons des précisions sur les transports possibles et sur les règles sanitaires à venir afin de finaliser le probable report, mais non l’annulation, de nos expositions. Cela implique de nouvelles négociations aux quelles toute l’équipe se prépare déjà. Toutefois dans ce contexte difficile où chacun tente de remettre sur pied des programmes anéantis du jour au lendemain, le monde de l’art se mobilise : j’ai rarement rencontré tant de solidarité de la part des prêteurs institutionnels ou privés. Certes, nous devrons re-configurer nos expositions mais grâce à un fonds de dotation confortable, nous avons le temps de voir venir. Contrairement à certains musées qui, hélas, ne se relèveront pas.

Quelles leçons tirez-vous de ce séisme violent et soudain ?

En premier lieu, la rapidité et l’énergie avec lesquelles chacun a su se ré-inventer, rebondir, modifier les données et s’adapter à d’autres pratiques. A plus long terme, la résilience : nous devons avoir dorénavant la capacité de résister à des crises de ce type en dépensant mieux et en repensant certains modèles…  L’alliance entre l’art et la nature pourrait être prégnante sinon vitale.