HUBERT LE GALL : un oeil d’or   

Publié le dimanche 14 février 2021

Artiste-designer et scénographe, Hubert le Gall imagine depuis plus de vingt ans un mobilier poétique, bienveillant et confidentiel tirant son inspiration tant des règnes animal et végétal, que des arts décoratifs des siècles passés. Parmi ses collectionneurs fidèles, Pamela Mullin a réuni une trentaine de pièces dans son pavillon de chasse, petit joyau normand du XVIIème siècle dont elle se sépare. L’entier mobilier ainsi que les objets d’art seront dispersés au printemps. Une aubaine ! 

par Pauline Simons, 76 Faubourg, Sotheby's

Hubert Le Gall

Lorsque vous avez découvert le pavillon de chasse de Pamela Mullin, le chantier était loin d’être terminé. Comment apprivoise-t-on un lieu d’un autre temps ? 

En étant un catalyseur. Un passeur entre le passé et le présent. La double casquette de créateur-scénographe m’a habitué à respecter chaque lieu. C’était une posture, c’est devenu un réflexe. Aborder une architecture en faisant table rase du passé ne m’intéresse pas. J’aime m’imprégner de son histoire, de son environnement, de sa structure et imaginer comment en jouer. En 2011, lorsque Pamela Mullin a acquis la propriété de Saint-Calais, elle a entrepris une restauration exemplaire avant de choisir un décor classique qu’elle a toutefois accepté de bousculer… Le goût de l’auto-dérision nous a réuni autour du lapin Odilon qui est devenu candélabre pour le trumeau de bronze aux feuilles d’acanthe que j’ai conçu spécialement pour le salon. Les autres pièces, -tables, guéridon, lampe, vases, paravent, bougeoirs- se sont lovées dans le décor. Sous le nez de Pinocchio, les chiens Dodger, les lapins Foxy et Olympia, l’autruche Odette ont tenu leur rang.   

Votre bestiaire est malicieux… Où puisez vous l’ inspiration ? Dans les contes ? 

Malgré ce que certains imaginent, mon univers n’est pas celui d’Alice aux pays des Merveilles. Je suis grand admirateur des arts décoratifs du Grand Siècle et des Lumières, du style pompéien, des délires néo-gothiques, d’un symbolisme exacerbé tel celui du Carabin mais aussi de ce foisonnement animal ou végétal appliqué à l’objet et au mobilier. C’est dans ces recoins inouïs que je puise l’inspiration.  

Le cabinet Taureau est peut-être l’exemple le plus accompli de ce qui me tient à coeur : le noir et l’or, clin d’oeil aux meubles Boulle, les sabots en référence au mobilier pompéien, les oreilles, une allusion aux poignées des coffres anciens. Contrairement à un sculpteur comme Francois-Xavier Lalanne qui a créé un mobilier en ouvrant le corps de l’animal afin d’y intégrer une fonction, mon meuble se pare de l’animal comme d’un décor. Ici, la tête du taureau est posée tel un photophore sur le cabinet tandis que les ailes dorées et les brandebourgs de bronze doré dessinent ses poumons et ses entrailles. En écho aux écorchés de Damien Hirst…  

Le cabinet Taureau

Vous n’êtes donc pas insensible à l’art moderne et contemporain…

Je ne suis pas attaché à un seul style ou une seule époque. Les créations irrévérencieuses de Gaetano Pesce m’enchantent tout autant que le meubles peints au naturel de Marie Antoinette.

Quand je m’ inspire parfois de mes contemporains c’est dans le but de transposer. Le fauteuil Alberto est né suite à la découverte d’une toute petite sculpture surréaliste de Giacometti au musée d’Antilles. Seul le changement d’échelle m’a mené vers une autre histoire. Quand j’ai imaginé ma première table fleur, je souhaitais une marguerite très contemporaine. Comment ne pas être séduit par les fleurs d’Andy Warhol traitées comme un motif de sérigraphie. 

La table fleur et son ombre

Êtes vous un créateur facétieux ? Provocateur ?

J’adore le jeu, l’espièglerie, la facétie qui ouvre sur une ambiguïté. Dans chacune de mes créations, j’attends le moment où l’identité d’un objet va basculer et devenir prétexte à une parenthèse poétique. Citons l’exemple de Mon Yeti. C’était une lampe classique presque ennuyeuse avant que je ne la pare de fourrure et d’une chaine. Dès qu’elle a été attachée au mur elle est devenue un objet hybride : mi lampe-mi animal. Ma façon de provoquer c’est peut-être aussi d’oser croiser un Chesterfield avec un lapin.

La lampe Mon Yéti

Pensez vous que la fonction soit plus importante que la forme ?

C’est avant tout  la sincérité de l’objet qui m’intéresse. Si je crée une chaise il faut que l’on puisse s’asseoir dessus. Elle ne sera jamais une sculpture même si elle donne matière à des détournements insolites. Il y a une réelle prétention à faire des objets qui n’ont plus de fonction sous prétexte que depuis Marcel Duchamp on peut soustraire la vocation d’un objet pour en faire une oeuvre d’art. C’est un geste auquel je me suis toujours opposé. 

Comme dans vos créations, vous avez emprunté des voies détournées avant de devenir artiste-designer.

Il est vrai que j’ai flirté avec la gestion afin de rassurer ma famille. C’était inconfortable. Alors j’ai sauté le pas. Autodidacte mais bon dessinateur, j’ai pris les pinceaux et me suis lancé dans le portrait. J’en vivotais déjà porté par les préceptes du mouvement Arts and Crafts de William Morris et Edward Burne-Jones ainsi que par la poésie de Diego Giacometti. En 1996, je suis entré dans la troisième dimension pour ne plus en sortir. Ce fut l’année de ma première table fleur et du vase Vice Verso. Avec son damier noir et blanc, Andrée Putman était toujours une figure de proue mais pour la nouvelle génération, la voie était libre. En 1997, quand Elisabeth Delacarte m’a proposé une première exposition, tout était à bâtir. Il fallait apprivoiser les collectionneurs qui n’hésitaient pas à payer très cher un meuble de Royère mais qui boudaient encore la jeune création. 

Vous avez eu très tôt une deuxième corde à votre arc…

La scénographie fut une chance, j’y ai appris mon histoire de l’art. En 1996, grâce à Sylvain Bellenger alors directeur du Musée de Blois, je me suis engagé dans un métier qui n’existait pas : à l’époque, les accrochages étaient réservés aux directeurs de musée et aux commissaires. Ensemble, nous avons monté trois expositions : Felix Duban, Francois Mansart et Auguste Préault dont les sculptures venaient d’être présentées au musée d’Orsay. La scénographie a du plaire à Henri Loyrette, alors directeur de l’institution, puisqu’il m’a offert celle d’ Edward Burnes Jones. Que pouvais-je espérer de mieux ? En réaction a un « White Cube » qui s’épuisait, Guy Cocheval  m’a encouragé à théâtraliser plus encore : sa rétrospective Edouard Vuillard au Grand Palais, en 2003, reste inoubliable. L’exposition Mélancolie au Centre Pompidou sous la direction de Jean Clair a éclairé un nouveau challenge. Rendre vivante l histoire de la Mélancolie et en saisir les fulgurances était une gageure. Heureusement couronnée de succès. De là, les propositions se sont enchainées. Jusqu’à douze par an. Mais Je ne me suis jamais lassé de l’exercice, de cette prise de risque au service du visiteur. 

Quels sont vos projets pour l’année 2021 ?

Une exposition de Zao Wou-Ki dans l’hôtel de Caumont à Aix en Provence, les Fables de la Fontaine au Musée Gustave Moreau et Signac au Musée Jacquemars André.    

Parlons aussi d’une autre exposition à la villa Kérylos, la votre, montée depuis le printemps mais hélas muselée par la crise sanitaire.   

Elle va ouvrir le 27 mars et je brûle d’impatience. J’ai découvert la villa il y a plus de trente ans. C’est un lieu qui a du souffle car il intègre parfaitement la quintessence de la civilisation grecque à la modernité du début du XXème siècle. Il y a deux ans, quand le centre des Monuments Historiques m’a accordé cette exposition personnelle, je savais déjà que je donnerai naissance à de nouvelles pièces en regard des meubles et objets de la collection permanente. Eternel amoureux de la Grèce, j’ai choisi de revisiter avec humour les Métamorphoses d’Ovide en trente cinq moments : parmi les meubles, le canapé Pasiphaé n’est rien d’autre qu’un clin d’oeil appuyé à la passion de l’épouse de Minos pour le grand taureau blanc et le bureau Virgile un hymne possible à la mythique Arcadie. Parmi les objets, certains ne sont que décoratifs : une tapisserie brodée d’un oiseau fabuleux, un vase qui n’en est pas un, un mobile aux fils de métal figurant l’épopée d’Ulysse…  Dans l’idéologie du mouvement Arts & Crafts.