Luc Tuymans dans la cité des masques

Publié le mercredi 19 juin 2019

La fondation Pinault présente la première exposition personnelle de l’artiste belge en Italie, à Venise et au Palazzo Grassi. L’occasion de s’attarder sur un peintre contemporain majeur qui a construit son œuvre et sa carrière sur le même tempo.  

Pauline Simons

Luc Tuymans, Turtle, 2007, Private collection, Courtesy David Zwirner, New York/London. Installation View at Palazzo Grassi, 2019 © Palazzo Grassi, Photography by Delfino Sisto Legnani e Marco Cappelletti.

« Je ne crois pas que toutes les images soient vraies. Je m’en méfie, et des miennes aussi », assure Luc Tuymans. Le peintre qui n’a jamais quitté Anvers, ville du diamant et de Rubens et s’est consacré à la peinture figurative depuis le milieu des années 80, a acquis une renommée internationale.

Bien qu’il ait choisi comme matière première, la photo et les images d’archives, de presse, de cinéma…, « son parti-pris n’est jamais celui de la représentation parfaite, mais au contraire celui de prendre un risque en peignant. Selon lui, tout tableau doit comporter un “ trou ”, un défaut, et que c’est dans ce vide que le spectateur peut entrer pour faire du tableau son histoire, sa narration. En ce sens, sa démarche est davantage conceptuelle qu’expressive », souligne Caroline Bourgeois, co-commissaire, avec l’artiste, de l’exposition « La Pelle » qui tire son titre du roman éponyme de Malaparte (1949).

Luc Tuymans, Simulation, 2007, Pinault Collection, Installation View at Palazzo Grassi, 2019 © Palazzo Grassi, Photography by Delfino Sisto Legnani e Marco Cappelletti

« Grâce à cet ensemble de 80 œuvres qui résument toute sa carrière, on comprend avec quel talent Tuymans qui s’est beaucoup intéressé à l’histoire et à la géopolitique, révèle le « squelette » des images, mais aussi avec quel talent, il piège le spectateur. Palette diaphane, lumière insolite… Le tableau peut sembler charmant alors que le sujet est parfois effroyable. A rebours des néo-expressionnismes et de la trans-avant-garde italienne, il a imposé une forme de regard clinique sur le monde », précise Edmond Francey, directeur du département d’après-guerre et d’art contemporain de Christie’s Londres.

Révélé lors de la Documenta IX de Kassel en 1992 et choisi pour représenter la Belgique à la Biennale de Venise en 2001, Luc Tuymans a été le premier artiste contemporain belge à avoir droit, en 2004, à une rétrospective à la Tate Modern.   

(From left to right) Luc Tuymans, Issei Sagawa, 2014, Tate, Murky Water, 2015, Collezione Prada, Milano, Le Mépris, 2015, Collection of Mimi Haas. Installation View at Palazzo Grassi, 2019 © Palazzo Grassi, Photography by Delfino Sisto Legnani e Marco Cappelletti.

« Il a construit son œuvre comme il a construit sa carrière. Dans la stabilité, avec méthode et discrétion », poursuit le spécialiste. « Fidèle aux mêmes galeries -Zeno X à Anvers et David Zwirner à Londres et New York-, sévère envers lui-même et envers le spectateur, il n’a jamais surfé sur la vague. Rien d’étonnant à ce que sa peinture attire des collectionneurs avertis et peu enclins à la spéculation : le second marché n’est pas pas saturé et sur le premier, ses œuvres sont rares car Tuymans produit relativement peu. »

Luc Tuymans, Schwarzheide, 2019, Fantini Mosaici, Milano, Installation View at Palazzo Grassi, 2019 © Palazzo Grassi, Photography by Delfino Sisto Legnani e Marco Cappelletti.

Porté par un record à 2, 07 M€ en 2013 pour « Rumour » de 2001 (Christies, New York), de belles enchères comme « Mrs », toile de 1999 adjugée 1,90 M€ en 2016 (Christies, Londres) la cote de Luc Tuymans est solide. Au regard des chiffres, le second marché semble cependant plus généreux pour Marlene Dumas, consoeur de Tuymans, peintre de la même génération, représentée par la même galerie et abordant elle aussi des sujets difficiles avec un record mondial est à plus de 4 M€ et une quinzaine d’enchères dépassent le million. «Les œuvres de Tuymans sont très cérébrales tandis que celles de Dumas montrent encore un plaisir de la peinture immédiat. En cela, elles sont accessibles à un plus large public de collectionneurs », conclut le spécialiste.  

A la question souvent posée « Est-ce qu’une peinture doit être belle ? » L’artiste belge répond immanquablement « Absolument pas. » Tout est dit.

La Pelle de Luc Tuymans, Palazzo Grassi Venise. Jusqu’au 6 janvier 2020.

A retrouver dans the Art Newspaper France (print)  Mai 2019

Luc Tuymans, Ballone, 2017, Private collection. Installation View at Palazzo Grassi, 2019 © Palazzo Grassi, Photography by Delfino Sisto Legnani e Marco Cappelletti.