Mona Hatoum, magnétique

Publié le mercredi 5 décembre 2018

A Paris au mois d’août ?  Ne manquez pas la rétrospective de l’artiste d’origine palestinienne au Centre Pompidou. C’est aussi sur lepoint.fr

Texte et photos  Pauline Simons

« Organisée comme une cartographie et non comme une rétrospective, » précise Christine Van Assche, commissaire de l’exposition la plus complète consacrée à ce jour à Mona Hatoum. La conservatrice, qui avait déjà accueilli l’artiste au Centre Pompidou en 1994, a préféré les mises en regards à la raideur chronologique. Au fil d’une centaine d’œuvres couvrant quarante ans de création, s’entremêlent ainsi les grands plages esthétiques de l’artiste laissant au visiteur beaucoup de souplesse pour parcourir ce florilège et y tracer ses propres méandres. L’œuvre de Mona Hatoum a souvent été mesurée à l’aune de ses engagements socio-politiques. Qu’à cela ne tienne ! Pour cette artiste britannique d’origine palestinienne, les prises de position face à la dislocation, à l’appartenance, et aux frontière ont affleuré naturellement : Mona Hatoum est née à Beyrouth de parents palestiniens qui n’ont jamais obtenu jamais la nationalité libanaise et elle-même a vécu l’exil à Londres, quand la guerre civile a éclaté au Liban en 1975.

Cependant, plutôt que de marteler ses opinions, l’artiste les cisèle ; en déstabilisant la perception, en détournant les objets et les images, en adossant les contraires, en distillant des sucs aigres doux. Par d’incessants allers et retours, elle passe ainsi de l’universel à l’intime, de la forme à l’idée. Avec gravité, poésie et application. Et tous les moyens sont bons : vidéos, performances, installations, dessins, photos, sculptures… En près de quarante ans ans, Mona Hatoum a exploré les différents média et leurs subtilités…

« Corps étranger », 1994, la dernière vidéo de Mona Hatoum (capture)

Au début des années 80 marquées par la rigueur glacée de l’ère Thatcher et le conflit au Proche Orient, le climat est âpre pour une jeune artiste en exil. Grâce à la performance, la vidéo et à son propre corps qu’elle met en scène, Mona Hatoum stigmatise alors sa condition d’émigrée et de femme dans un contexte politique anxiogène, en souligne les dérèglements, infiltre un sentiment d’ urgence et met le spectateur sur le gril. Alors que la guerre numérique est plus que jamais d’actualité, Mona Hatoum dénonçait déjà les écueils et les conséquences de la surveillance. Dans « Corps étranger », sa dernière vidéo (1994), elle met en exergue un autre forme de contrôle. En projetant sur le sol l’intérieur de son propre corps, elle semble laisser à une caméra intrusive le pouvoir de décrypter l’intime. Mais il ne s’agit ici que d’un corps déconstruit par l’œil scientifique, morcelé, visqueux, gluant et en totale dépendance.

Dix ans plus tard, Mona Hatoum aborde l’installation : plus encore, elle tient à ce « que l’aspect visuel de l’œuvre fasse participer le spectateur d’une manière physique, sensuelle, voire émotionnelle ; les connotations et la quête de sens venant après. » « Light Sentence » (1992), qui évoque la rudesse de l’ univers carcéral ou les périls d’une architecture désincarnée, sécrète le trouble de manière insidieuse : ce sont les ombres portées et les lignes tremblées sous le coup d’une lumière unique et vacillante qui créent un indicible malaise, une peur larvée… A chacun d’en faire son affaire…

Undercurrent (red), 2008.

Quand l’artiste détourne, avec soin, des objets familiers et quotidiens, utiles et apparemment inoffensifs, tels les ustensiles de cuisine et le mobilier ou utilise des matériaux industriels, quand elle met ses habitudes, comme celle de collecter ses propres cheveux, au service de son travail, cela donne lieu à des oeuvres (dessins, sculptures ou installations) souvent minimalistes, parfois surréalistes, mais toujours aussi étrangement inquiétantes, sourdement agressives. Le matériau ou la matière choisis et remaniés deviennent ici une formidable caisse de résonance.

Mapping (clear), 2014.
Hot Spot, 2014.

Il en est de même pour les cartes géographiques, une thématique chère à l’artiste depuis près de dix ans. Afin de souligner la porosité des frontières, l’instabilité du monde et ses possibles dérives, Mona Hatoum donne à nouveau un rôle à des matériaux modestes ou quotidiens. Ici, un tapis turkmène où des mites, dans un travail de sape organisé, auraient dessiné une autre carte du monde, celle d’Arno Peters qui propose une vision plus équilibrée des différents continents (Bukhara, 2008). Là, sur le sol, des milliers de billes de verre composent la projection de nos deux hémisphères mais, délibérément mobiles, elles fluctuent au passage des visiteurs (Map (clear), 2015 créée pour l’exposition). Plus loin une mappemonde cage dont les contours des continents sont dessinés de néons rouges (Hot Spot, 2014) comme pour signaler un danger à venir…En « apprivoisant » et en questionnant ainsi la violence universelle afin de mieux la pointer du doigt, Mona Hatoum, artiste « nomade », n’envoie-t-elle pas valser tous les préjugés ?

Mona Hatoum Centre Pompidou, galerie 1, niveau 6, 75004 Paris. Jusqu’au 28 septembre. www.centrepompidou.fr

Cellules, 2012-2013.