Pour le 25ème anniversaire de la disparition de Jean Tinguely, la galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois ont réactivé quelques unes de ses machines conçues dans les années 60. Un rendez-vous que vous retrouverez aussi sur le Point.fr
par Pauline Simons
Rue de Seine, toutes les heures, quatorze machines de Jean Tinguely s’agitent avec un systématisme enchanteur.
Enervés par des ressorts fébriles, un singe en peluche cerné de plumes est soudain pris de pris de hoquets juste avant qu’une grande faucheuse, endiablée, ne caracole. Tous deux condamnés à une danse de Saint-Guy éternelle.
C’est avec un humour absurde et une sorte de gaité quelque peu tragique que Jean Tinguely prédisait la fin de la machine en des temps où le numérique était encore dans les limbes. « Je mets la machine en doute, je crée un climat de critique, de ridiculisation. J’introduis de l’ironie. Mes machines sont ridicules ou alors elles sont belles, mais elles ne servent à rien », avait-il déclaré.
Après une première exposition consacrée à ses travaux des années 50 , Georges-Philippe et Nathalie Vallois remettent en lumière et en marche des pièces de la décennie suivante, années particulièrement fécondes pour l’artiste, marquées par des expériences et des audaces nouvelles. C’est une période où l’art se réinvente. « On ne dessine pas plus qu’on ne peint ou ne sculpte : on récupère, on détruit, on enregistre, on diffuse, on parle ou on écoute le silence », note Camille Morineau dans la préface du catalogue de l’exposition.
En 1960, le séjour de Tinguely aux Etats-Unis est à marquer d’une pierre blanche. C’est dans ce pays alors en pleine effervescence qu’il rencontre Marcel Duchamp, mais aussi Frank Stella, Jasper Johns, Robert Rauschenberg… une pléiade d’artistes qui composent déjà avec des objets de rebut et des déchets métalliques. « Hommage à New York », sa première machine autodestructrice, destinée à exploser dans le Jardin du Museum of Modern Art a frappé les esprits tout en le rendant mondialement célèbre. De l’autre côté de l’Atlantique, le Nouveau Réalisme, mouvement fondé officiellement en octobre 60 au quel Tinguely apportera une patte toute mécanique, va lui aussi procéder à « un recyclage poétique du réel urbain, industriel et publicitaire » -pour reprendre les termes de Pierre Restany- et placer l’objet quotidien au centre de l’œuvre.
Dans cette vague de permanente remise en question, de frénésie et de conscience politique, Tinguely est peut-être le seul à avoir « fait du mouvement machinique son propre principe de changement ». Le point fort de cette exposition est de présenter différentes déclinaisons et sources d’inspiration de ses machines. Exposée dans le second espace, la série des Radios de 1962 montre à quel point le son, ici complètement déglingué, a toujours été pour l’artiste un élément de recherche, au même titre que le mouvement et la forme. Au contraire, la série plus connue des Baluba de 1963 inspirée par les magnifiques guerriers d’un Congo troublé et représentée ici par deux pièces, offre une vision ludique et étrangement plus féminine de la machine parce qu’inspirée par sa relation avec Niki de Saint-Phalle : tandis que ses œuvres à lui se parent de plumes, de fourrures et de jouets, celles de sa compagne se durcissent.
1963 est une année charnière dans l’œuvre de Tinguely : c’est celle où les pièces deviennent noires tandis que le son se fait beaucoup plus assourdi. Les deux machines les plus récentes de l’exposition -La Cloche et Bascule V- ont été réalisées quatre ans plus tard. Le registre a changé et la veine est plus moderniste. L’artiste rompt ici avec l’esthétique de la récupération et avec l’esprit du Nouveau Réalisme, revenant à une pratique plus conventionnelle de la sculpture comme le soulignait Michel Gauthier, conservateur au Centre Pompidou à propos de Requiem pour une feuille morte, pièce maîtresse de cette année-là qui évoque immanquablement Les Temps modernes de Charlie Chaplin (1937).
« C’est peut-être l’esprit de Sisyphe, avec ce va et vient perpétuel ne débouchant sur rien, qui caractérise l’œuvre de Jean Tinguely. » conclut le conservateur. Mais, au fond, ne faut-il pas imaginer Sisyphe heureux ?
Jean Tinguely ‘60s, Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois 33 et 36, rue de Seine, 75006 Paris (01.46.34.81.07) www.galerie-vallois.com