MOUNIR FATMI CHEZ YVON LAMBERT

Publié le mercredi 5 décembre 2018

Mounir Fatmi recompose le monde et nous invite à le recomposer. Ni ici, ni là-bas. « La position idéale pour réfléchir » selon l’artiste. Pour sa première exposition « They were blind, they only saw images » à la Galerie Yvon Lambert, (elle est prolongée jusqu’au 5  mars!)  l’artiste qui vit entre Paris et Tanger, questionne la représentation du Sacré et effeuille ces paradoxes d’aujourd’hui qui comme l’affirmait Proust seront les préjugés de demain. Depuis toujours l’artiste remet en question l’impact des images que nous avalons sans les digérer, dénonce la fragilité des structures idéologiques, des dogmes,des savoirs et nous invite à regarder le monde sous d’autres angles. On retrouve avec plaisir Sleep Al Naim , une vidéo inspirée de Sleep d’Andy Warhol. Il s’agit ici d’une réplique en 3D réalisée d’après photo de Salman Rushdie, endormi. Ces images qui évoquent à certains égards les gisants insistent révèlent surtout une drôle d’ ambivalence comme souvent chez Mounir Fatmi. Entre calme et vulnérabilité.

Photos et texte Pauline Simons

Sleep Al Naim

On retrouve encore Salman Ruhdie, dans ce portrait-robot au jet d’encre sur miroir Who is Joseph Anton où on le devine plus qu’on ne le reconnaît. L’artiste a en effet mêlé, le visage de l’écrivain à ceux de Joseph Conrad et Anton Tchekov dont les prénoms (Joseph Anton) composaient le pseudonyme de fugitif de Rushdie. Visage d’un homme en cavale. La video « History is not mine » est quant à elle, une réponse directe au printemps de septembre de Toulouse 2012 où son œuvre « Technologia » avait été retirée. Cette vidéo met en scène un personnage qui tambourine sur une machine à écrire à l’aide de marteaux , seul le ruban est rouge. Rouge Sang. Constat d’une désillusion : interdit aux artistes de toucher à l’Histoire.

History is not mine

Avec le « Paradoxe de l’Unicité », des morceaux de calligraphie arabe sont mis au rang de l’abstraction, de signes à réinventer. Acérés par une machine à rémouler d’un autre temps, ils jonchent le sol, ne signifiant plus rien et ne représentant plus aucun dogme. Le sacré cède ainsi la place à l’esprit critique.

La paradoxe de l’unicité ©Mounir Fatmi Courtesy the artist and Galerie Yvon Lambert, Paris

Dans l’exposition, on découvre également la nouvelle version de l’installation « Jusqu’à preuve du contraire ». C’est une œuvre impressionnante parce qu’elle est aveuglante Composée de néons qui grimpent dans l’espace sur les quels sont retranscrits la sourate 24 du Coran intitulée « Lumière », elle fonctionne comme un piège visuel. Hypnotique, elle éblouit et attire. Difficile pourtant de lire le texte inscrit sur les néons tant la lumière fait barrage. Restent imprimés sur la rétine des bribes de mots. Mais au lieu d’éclairer, la lumière brouille ici les pistes.

Jusqu’à preuve de contraire ©Mounir Fatmi Courtesy the artist and Galerie Yvon Lambert, Paris

Mounir Fatmi prend soin de secouer le visiteur avec fermeté et poésie et, entre les différents medias et les différentes oeuvres l’invite à un jeu de balle. On passe de l’une à l’autre, on revient à l’une et à l’autre en boucle serpentine, on appréhende l’une par rapport à l’autre. L’ensemble qui est d’une extrême cohérence donne finalement la sensation d’une œuvre unique.

Galerie Yvon Lambert, 108, rue Vieille du Temple, 75003 Paris 01 42 71 09 33. Jusqu’au 28 février.