ALLEGORIES D’OUBLI / RODAKIS AU CENTRE POMPIDOU

Publié le mercredi 5 décembre 2018

C’était il y a une vingtaine d’années à Egine, une île toute proche d’Athènes. La visite de la maison d’Alexis Rodakis, bien connue des Eginètes, s’était imposée dans une lumière crue et estivale. Souvenir flouté d’un lieu vide et délabré où perlait une étrangeté indéfinissable. Voilà que cette habitation de la fin du XIXème siècle, reconnue par Le Corbusier comme étant une icône de l’architecture pré-moderniste, réapparaît à Paris pour le Nouveau Festival du Centre Pompidou dans une vidéo réalisée en 2008 par l’artiste allemand Olaf Nicolai. C’est elle qui tient le rôle principal et le seul d’ailleurs tandis qu’une voix raconte la vie du bâtisseur, un artisan-sculpteur-fermier n’ayant d’autre velléité que celle de construire sa maison.

par Pauline Simons

Dans une conversation avec Dorothea Schoene, l’artiste explique le cheminement de son travail. Lors de sa participation à la Biennale d’Athènes, il eut connaissance du lieu et surtout de l’influence de Rodakis dans l’architecture moderniste.  La maison, non loin du temple d’Aphaïa, avait déjà repérée en 1905 par l’archéologue allemand Adolf Furtwängler, puis par l’architecte Adolf Loos qui la mentionna dans l’un de ses ouvrages. Du côté grec, Dimitris Pikionis s’était également intéressé à la « topographie émotionelle » du lieu avant qu’en 1975 Aris Constantinidis publie ce bel ouvrage « Elements of Self-Knowledge : Towards a true architecture » qui traitait de l’incidence des architectures anonymes en Grèce.

 

Mais de ci-de là, seule la maison affleurait. Toutes les informations au sujet de Rodakis lui-même étaient imprécises voire contradictoires. Pas la moindre photo de ce marginal qui avait habillé l’une de ses terrasses d’un cochon, d’une horloge, d’un serpent et d’une colombe, sculptures symboles de la fortune, du temps, du démon et de la paix. Pas le moindre document pour estampiller la réalité de son existence. Olaf Nicolai a alors fait appel à un medium qui, dans cette bâtisse délabrée, lui a raconté sa vision. «  L’état actuel de la maison est devenu l’écran d’une narration qui fait de cette absence fantomatique le point de départ d’une biographie et utilise la nature fictive des faits comme un principe de production. »

L’artiste donne ainsi un nouvel éclairage à la biographie fictionnelle que Marcel Schwob (1867-1905) avait théorisé. Son travail consistait en effet à saisir la singularité d’un individu plus que ses spéculations et à substituer une visée artistique à la démarche scientifique des historiens. « Aussi bien que Socrate, Thalès aurait pu dire « Connais-toi-toi-même » mais il ne se serait pas frotté la jambe dans la prison de la même manière avant de boire la ciguë. Les idées des grands hommes sont le patrimoine commun de l’humanité : chacun d’eux ne posséda réellement que ses bizarreries » écrivait-il. En racontant une fiction portée par un lieu encore étrangement habité, Olaf Nicolai donne au personnage de Rodakis une vie et une couleur uniques en parfaite osmose avec l’architecture. Les preuves, les archives ou même les photos, aussi rassurantes soient-elles, auraient-elles pu insuffler ce petit supplément d’âme. Par ricochet, l’oeuvre de Nicolai évoque le problème de la traduction ? Doit-elle être littéralement fidèle ?


Conférence-performance le 8 mars à 19 h, Galerie Sud au centre Pompidou. Olaf Nicolai prendra comme point de départ un rocher en béton posé par Le Corbusier au Couvent de la Tourette dont la finalité demeure méconnue. Esquisses de quelques hypothèses.