QUAND LES ENFANTS PRENNENT LE POUVOIR

Publié le mardi 4 décembre 2018

Après Lyon et la Sucrière, le photographe hollandais Erwin Olaf retrouve Paris et la galerie Rabouan Moussion avec ses toutes dernières œuvres. Le feu sous le papier glacé.

par Pauline Simons

Depuis une décennie, Erwin Olaf a mis au placard certaines provocations, celles qui sautent à la gorge et crochètent systématiquement le regard. Au début des années 2000, ses freaks sulfataient le spectateur avec une férocité placardée. Souvenez-vous de ses clowns démoniaques qui gagnèrent ensuite un peu d’humanité : leur maquillage dégoulinant perlait comme  la teinture d’Aschenbach dans l’une des dernières scènes de Mort à Venise.

Luchino Visconti et Erwin Olaf, tous deux inspirés par les compositions picturales du Grand Siècle, ne partagent-ils pas, de près ou de loin,  une vision analytique de la décadence servie par une  obsession de la mise en scène ?

Selbstportät, Olympia Stadion Westend, 25th of April 2012, Chromogenic print

Certes, l’enfant terrible s’est assagi mais le photographe continue à nous mettre sur le gril, avec plus de retenue. Dans l’exposition, on retrouve des thèmes qu’il a fait siens depuis longtemps mais qu’il ne cesse de repeigner afin d’éviter les redites  : la solitude, le temps qui file, l’incommunicabilité, les chairs qui se délitent, les corps qui peinent. Erwin Olaf, ne cache pas une insuffisance respiratoire et connaît désormais  l’angoisse des escaliers sans fin. Avec cette toute dernière série, il ouvre encore des nouveaux onglets de son histoire. Lui qui aime travailler dans ses murs, à Amsterdam, a choisi de « revoir » Berlin, une ville qu’il a pratiquée dans l’effervescence de la chute du mur. Bien qu’il ait choisi des lieux chargés -la loge maçonnique Dahlem, le stade olympique, le Stadtbad Neukölln-, Olaf n’est jamais didactique. Il propose. Pour la première fois, les enfants, roitelets impérieux, lisses et sophistiqués, prennent le pouvoir.

Berlin, Porträt 05, 9th of July 2012, carbon print

Mais comment ?  En dénonçant des vies d’adultes plus ou moins bien gérées ? En épinglant les naufrages de la vieillesse ? Revendiquent-ils désormais le droit à la liberté absolue ? Singent-ils les jeunesses hitlériennes ? Prennent-ils une revanche sur l’histoire ? Dans la galerie, Erwin Olaf a planté un carrousel où des enfants sans tête tournent autour d’un clown, une figure qui peut aussi faire peur. Mais celui-ci est  agenouillé et porte un bandeau sur les yeux. L’artiste s’est inspiré de faits divers  qui se sont déroulés à l’orée du nazisme et qui  ont tissé la trame de M le Maudit :  en 1925, Fritz Haarmann, surnommé le boucher de Hanovre, était guillotiné pour avoir tué, dépecé et peut-être même vendu au marché noir la chair d’ une vingtaine d’ adolescents ;  trois ans auparavant, Karl Grossmann, s’était suicidé dans sa cellule, accusé du meurtre d’ une cinquantaine de jeunes femmes ; en 1931, année de la sortie du chef d’oeuvre visionnaire de Fritz Lang, Peter Kürten, le vampire de Düsseldorf qui massacrait tous azimuts, eut la tête tranchée. Le 30 janvier 1933, Hitler, prenait, hélas, le pouvoir…

Galerie Rabouan Moussion, 121, rue Vieille du Temple 75003 Paris (01.83.56.78.21). Jusqu’au 23 novembre.

Freimaurer Loge Dahlem, 22nd of April 2012, chromogenic print