LA NATURE EN MIROIR SOUS LA VERRIERE

Publié le mardi 4 décembre 2018

Au printemps dernier, la Fondation Hermès accueillait Guillaume Désanges. Dès son arrivée le nouveau commissaire de la Verrière à Bruxelles mettait en place un cycle d’expositions dont nous découvrons aujourd’hui le troisième volet : le jardin « chiral » d’ Irene Kopelman.

par Pauline Simons

La Verrière est avant tout un lieu d’expérience. Née avec le XXIème siècle, elle ressemble à une chambre dérobée. En 2000, Jean-Louis Dumas, alors président de la Maison Hermès avait en effet décidé de transformer l’espace attenant à la boutique en un lieu dédié à l’art contemporain. Bien avant la création de la Fondation. L’arrivée au printemps de Guillaume Désanges, son nouveau commissaire, confirme la position déjà singulière de cette petite enclave à la lumière zénithale. « J’ai choisi des artistes qui travaillent dans la durée, sur le long terme, moi qui ai souvent été habitué aux one shots. Dans le domaine de l’art, la temporalité s’est beaucoup raccourcie en terme de pensée et s’est allongée en terme administratif. Redonner aux créateurs le temps de façonner une œuvre a donc été une priorité », souligne Guillaume Désanges qui, sans tarder, a mis en place un cycle d’ expositions « Des Gestes de la Pensée ». C’est la figure de Marcel Duchamp qui en fut l’ initiatrice. Plus célèbre pour ses ready made, décisions immédiates qui donnent à l’objet le statut d’oeuvre d’art, que pour « ses chantiers monumentaux » qu’il tricota de manière obsessionnelle et artisanale durant des décennies, –« il avait un rapport à la finition et au labeur absurde assez méconnu »– Marcel Duchamp n’était-il pas à son époque l’un des rares insoumis de le temporalité ? En s’arc-boutant sur les allées et venues de ce précurseur, le commissaire a convié dix artistes conceptuels dont la pensée est concentrée sur l’objet artisanal à surfer sur cette notion de durée. «  Quand les objets et la matière dans sa brutalité sous-tendent aussi une pensée… »

Le jardin d’Irene Kopelman, troisième volet du cycle, est le seul qui ait jamais poussé sous la Verrière. Pour l’artiste d’origine argentine, c’est aussi la première concrétisation d’un phénomène qu’elle étudie depuis déjà quatre ans : la chiralité. Ce terme un peu savant désigne cette propriété d’asymétrie qui fait qu’un objet ou une forme ne peut se confondre avec son image miroir. L’exemple le plus simple et le plus courant étant celui de nos deux mains, de forme rigoureusement opposées bien qu’identiques. « Vous ne pourrez jamais enfiler votre gant droit sur votre main gauche et vice versa bien que les deux gants relèvent du même patron. » Irene Kopelman appartient à cette génération d’artistes qui renoue avec les humanités du XIXe siècle, avec ce positivisme amateur à l’origine des cabinets de curiosités. « Souvenez-vous de la pteridomania, la folie des fougères sous l’Angleterre victorienne. C’était une époque où le simple « curieux » participait, à sa manière, à la recherche scientifique. Irene est issue de cette culture là. A l’instar de Duchamp qui a recollé une à une les pièces du Grand Verre, elle passe un temps infini à faire des relevés systématiques, à copier les phénomènes de hasard observés dans la nature comme ces morceaux de terre craquelée d’Hawaï qu ‘ elle a reproduit un à un et qui deviennent au final un objet de séduction esthétique. » Par le biais d’une observation de la réalité objective,  Irene Kopelman donne donc à voir la beauté des formes, nous offrant ainsi, gracieusement, un chemin de vie et, par ricochet, un regard sur la vanité des choses.

Mais retournons au jardin. C’est en 2010, au cours d’une rencontre avec le biologiste Menno Schilthuizen, spécialiste de la recherche sur les évolutions en miroir que l’artiste a commencé à s’ intéresser au phénomène de la chiralité. Certaines plantes et graminées, certains crustacés et mollusques, certains cristaux sont définies par des formes en spirale de droite ou de gauche. Sans aucune raison scientifiquement prouvée. L’artiste a donc dessiné avec la précision d’un entomologiste certaines espèces animales comme le crabe violoniste et sélectionné, de par le monde, ces espèces végétales communes ou rares afin de nous convier à éplucher  ce trouble de la nature. On est fasciné par l’organisation d’ un savoir, émerveillé par la gratuité du geste, enchanté par la beauté de cet éden éphémémère . Avant le petit effet boomerang. Kant avait vu dans la chiralité un problème philosophique sérieux. Objectivée par l’intuition et non par l’entendement, la chiralité était pour lui la preuve par excellence du caractère subjectif de la spatialité.

La Verrière, 50, boulevard de Waterloo 1000 Bruxelles. Jusqu’au 14 décembre. www.fondationdentreprisehermes.org

 Photos Pauline Simons

Irene sous la Verrière