Art déco : une collection cousu main

Publié le mardi 4 décembre 2018

Dispersée chez Sotheby’s, la collection Henri Chwast recèle des joyaux de la période Art Déco. Un ensemble à découvrir : confidentiel mais remarquable. Retrouvez l’article sur le Point.fr ainsi que les meilleurs résultats sur le site HYam

 Small is beautiful… La collection dispersée par Sotheby’s le 21 novembre ne comprend qu’une cinquantaine pièces judicieusement réunies par Henri Chwast durant vingt cinq ans. Celui qui créa, dans les années 70, « Meredith », premier concept store à Paris, aima la mode et son inventivité comme il aima l’avant-garde dans la période Art Déco. La vente Doucet (1972), moment mythique pour toute la profession fut un premier choc artistique pour cet esthète secret. Elle marqua aussi son entrée dans le sérail des collectionneurs et des marchands.

Mais c’est avec un éclectisme éclairé qu’Henri Chwast apprit à apprivoiser les objets et à définir ses choix. Ne figurent, en effet, que quelques signatures parmi les quelles celles de Pierre Chareau, Jean Dunand, Eileen Gray, Clément Rousseau. Nulle trace de Jean-Michel Frank ou de Jacques-Emile Ruhlmann. « C’était un collectionneur qui, de par son métier, appréciait les matières, les couleurs, l’architecture des formes ou le graphisme d’une ligne et qui sut, avant tout, tisser des correspondances entre les objets : des pièces chaleureuses et luxueuses au mobilier et luminaires plus modernistes. D’où la cohérence de cet ensemble avec le quel il vivait. On retrouve, ici, avec peu d’objets, cette belle atmosphère qu’avait su créer Yves Saint Laurent », souligne Cécile Verdier, spécialiste chez Sotheby’s.

A l’honneur Eileen Gray, artiste rare sur le marché, avec un vase, pièce unique et exceptionnelle de 1920, provenant, comme la cheminée, de l’illustre collection du carrossier Jean Henri-Labourdette. Il fut disputé par six enchérisseurs jusqu’à 1.447.500 € bien au-delà de son estimation haute de 350.000 €

Durant ces vingt-cinq années de quête, interrompue par sa disparition, Henri Chwast n’eut jamais la nostalgie d’un XVIIIème siècle qui inspira encore de grands ébénistes de l’époque et ne montra que peu d’ engouement pour un ascétisme plus froid.

Parmi les pièces phares de la vente, le manteau de cheminée de Jean Dunand à décor géométrique en bois laqué rouge et noir émaillé de coquille d’œuf (de 200 000 à 300 000 €) a, de surcroit, une très belle provenance. Il habillait l’appartement, rue de la Pompe de Jean et Georgette Henri-Labourdette, personnalités à la pointe des avant-gardes qui donnèrent carte blanche au décorateur-laqueur pour l’aménagement de leur intérieur. Le vase en pin brûlé et laqué d’Eileen Gray (de 250 000 à 300 000 €) exposé au centre Pompidou en 2013, lors de sa rétrospective, est issu du même écrin. Dans cette époque marquée par le modernisme, Henri Chwast eut aussi la pertinence de réunir les trois pièces importantes de Pierre Chareau qui ont marqué le style de l’architecte-décorateur: le bureau MB405 à tablette pivotante et son tabouret (de 200 000 à 300 000 €), le lampadaire dit la Religieuse (de 300 000 à 500 000 ) ainsi que deux lampes Masque (de 20 000 à 30 000 chacune). S’il avait eu le temps d’enrichir sa collection, aurait-il eu l’envie de se rapprocher d’un modernisme plus radical amorcé par Chareau mais aussi par Jacques Le Chevallier & René Koechlin ou encore par André Herbst ?

 

Côté prix, Sotheby’s a misé sur des estimations réalistes. Dans le contexte économique actuel, une pièce de mobilier surévaluée, aussi exceptionnelle qu’elle soit, trouve difficilement preneur. On se souvient du sort réservé à la magnifique table à jeu que Jean Dunand avait créé pour Madeleine Vionnet, personnalité éminente du monde de la mode : elle fut ravalée à deux reprises en 2011 (vente Gourdon) puis en 2012, pénalisée par des estimations beaucoup trop hautes. Côté tendance, les goûts ont évolué. Alors que le mobilier d’inspiration bourgeoise illustrées avec brio par Ruhlmann, décorateur chéri des américains, est passé de mode, les choix d’Henri Chwast qui tutoient la modernité devraient être soutenus par le marché.

Pierre Chareau, lampadaire la Religieuse SN31 en acajou, albâtre et métal, vers 1928Adjugé € 1.075.500 sur une estimation de 300,000 à 500,000. RECORD MONDIAL POUR L’ARTISTE *** Record mondial pour l’artiste

Toutes les pièces de la collection ne seront pourtant pas dispersées à Paris. En effet, l’arrêté relatif à l’interdiction du commerce de l’ivoire d’éléphants et de la corne de rhinocéros sur le territoire national, tombé le 16 août 2016, a contraint la maison de ventes a exporter à Londres six lots comprenant des poignées, des pieds ou des filets en ivoire. Un luxe que seule une enseigne internationale peut s’offrir.

Vente le 21 novembre à 19 h. Sotheby’s, 76, rue du Faubourg Saint-Honoré 75008 Paris. Le 22 à 10 h, Sotheby’s 34-35, New Bond Street, Londres (six lots)