UNE COLLECTION COUSUE MAIN

Publié le mercredi 28 novembre 2018

Danielle Luquet de Saint-Germain, ancien mannequin de Saint Laurent, mettra en vente à Drouot, le 14 octobre, le premier volet de son incroyable collection haute couture. Rencontre avec une modeuse éclairée.

Par Pauline Simons

Genève, bar de l’hôtel Métropole. Le rendez-vous est fixé à 13 heures 30. « J’ai pensé que ce lieu central vous conviendrait… » Ponctuelle et allurée, Danielle Luquet de Saint-Germain s’excuse à mi-mot. L’ancien mannequin cabine de Saint Laurent a toujours gardé ce petit brin de timidité qui avait séduit le couturier taiseux. 

Avec douze mille pièces en parfait état, elle est aujourd’hui à la tête de l’une des collections les plus représentatives du dernier quart du XXe siècle. « Accessoires compris, précise-t-elle. J’ai toujours donné beaucoup d’importance aux chapeaux, aux chaussures, aux gants et aux bijoux. Ce sont eux qui font twister une tenue. » Mais comment séduire un créateur mythique quand on a 19 ans, quand on débarque de province sans autre bagage qu’une belle éducation et un joli minois. « Grâce à ma mère. C’est elle qui m’a transmis le goût du tissu, de la coupe et, a posteriori, celui de la mode. Elle avait un sens inné de l’élégance et portait déjà des modèles Balanciaga façonnés par notre couturière. » La suite est météorique.

C’est avec Danielle qu’Yves Saint Laurent va décorseter la mode

Sur les conseils de son fiancé, Danielle se présente au studio de la rue Spontini, Mme de Billy, ancien mannequin alors directrice de la cabine, lui demande simplement d’enfiler la robe Mondrian avant de paraître devant le couturier. Séduit par la dégaine sans doute improbable de la jeune femme, Yves Saint Laurent l’engage sur-le-champ. « J’avais, sans le savoir, une manière d’enlever un vêtement avec la modernité et l’insouciance des jeunes gens de la rue. J’aimais les tenues militaires amples, chinées aux puces, que je portais comme les garçons, mains dans les poches, veste sur l’épaule. » Filiforme, Danielle a une allure androgyne qui ne peut que plaire à Saint Laurent. C’est avec elle que le couturier va décorseter la mode. Elle lui inspire sa première collection Rive Gauche, sa première saharienne, son premier costume d’homme, son premier smoking short, ainsi que cette fameuse blouse de cigaline noire dont la transparence fit scandale. « Accepteriez-vous de la porter torse nu ? » m’avait-il demandé timidement. C’était un homme qui n’a jamais eu une once de mauvais goût. Ni dans son attitude ni dans sa manière de créer. Je l’admirais tellement qu’il ne m’est pas venu à l’idée de refuser. » Après la blouse, il y eut une robe mythique, celle de l’automne-hiver 68-69, qui, elle aussi, défraye la chronique. En mousseline de soie, elle n’était ornée que d’une couronne de plumes d’autruche cernant les hanches. Danielle rachètera ce modèle bien plus tard, alors que sa collection avait déjà pris forme.

Après avoir passé dix saisons en compagnie de Saint Laurent, la jeune femme va défiler pour Dior et assister Marc Bohan en studio. En 1975, elle prend le poste de conseillère artistique auprès de Claude Montana. « Montana est un architecte du vêtement. Un vrai perfectionniste. Alors qu’avec sa ligne Rive Gauche, Saint Laurent avait mis la haute couture dans la rue, lui, au contraire, la portait aux nues dans l’intimité de son petit atelier, rue Saint-Denis. Avant les défilés de presse, il passait un temps infini à replacer une mèche de cheveux ou le tomber d’un col. A en tomber malade. » Bien qu’en 1978, elle quitte Paris pour Genève, elle n’abandonne pas « ses » créateurs : Lacroix, Mugler, Paco Rabanne, Yamamoto, Anne-Marie Beretta, Alaïa… En étant une de leurs plus fidèles clientes, elle se fait alors leur sincère ambassadrice dans les dîners arty de la planète.

L’audace des mariages singuliers

La première vente, qui comprend environ 350 lots, propose les vêtements et accessoires signés par une vingtaine de couturiers. « Plus j’étudie cet ensemble, et plus je le trouve d’un extrême raffinement », s’enthousiasme Françoise Sternbach, expert de la vente orchestrée par la société Gros & Delettrez. « Non seulement Danielle aime la mode, mais elle en a l’instinct. Dans sa collection, aucune pièce n’est médiocre. De plus, elle a l’audace des mariages singuliers : une petite veste en lin de Thierry Mugler sur un sarouel. Son talent réside également dans la manière de porter le vêtement. Sur elle, un bout de chiffon a une allure folle. »
Si elle se sépare à regret de sa collection, la muse d’Yves Saint Laurent a faite sienne la phrase de Balzac : « Qui ne voit dans la mode que la mode est un sot. »

Vente à Drouot Richelieu, lundi 14 octobre. SVV Gros & Delettrez, 22, rue Drouot, 75009 Paris (01.47.70.83.04). Expert : cabinet Chombert-Sternbach.

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